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Neyka 017

bloody tears
Une demoiselle, mal coiffée, l'air fatigué avec des yeux bouffis, rougis et gonflés de larmes marchait dans la rue, l'air pressée et inquiète. Ses yeux naviguaient à droite et à gauche, sans cesse, hyperactifs, comme si elle s'attendait à recevoir un danger imprévisible de n'importe quel côté. Pourtant, dans ce quartier très fréquenté, et pas vraiment réputé pour être mal famé, tout le monde pensait pouvoir passer inaperçu. Cette jeune femme souhaitait juste s'asseoir dans son coin habituel, regarder les gens passer et voir les plus généreux déposer une pièce ou deux à ses pieds, sans même lui lancer un regard. Ce statut ne lui convenait pas. Elle aimait se sentir importante, et elle était une moins que rien dans ce monde qui ne lui avait pas laissé le choix. Alors, elle attendait que la chance arrive face à elle pour qu'elle s'en empare, et soit élevée au sommet, quittant sa condition de clocharde, et n'ayant plus à subir les regards médisants et les coups de certains passants, lorsque minuit était passé. Il était tôt, pour l'instant. Peut-être sept, ou huit heures du matin. Les gens, bien habillé en costume ou dans une jupe bien trop moulante pour être décente se dirigeaient vers le métro pour aller travailler. Ils passaient hâtivement devant la femme assise et appuyée contre le mur, priant intérieurement pour qu'elle ne leur fasse pas perdre du temps en réclamant un billet ; mais elle n'aurait jamais fait ça. Les choses viendraient à elle, elle en était persuadée. Je ne peux pas être malchanceuse toute ma vie, c'est impossible, assurait la jeune femme pour elle-même. Ses yeux la piquaient. Ses cheveux bruns, naturellement ondulés étaient bien trop mal soignés, bien qu'elle s'efforçait de les peigner avec ses doigts comme elle le pouvait chaque jour pour ne pas faire peur aux gens. Ses cernes formaient un arc-de-cercle étendu sur une bonne partie de sa peau, et elle ne se cachait même pas qu'elle devait faire peur à voir. Elle se glissa dans l'enfonçure que l'architecture du bâtiment derrière elle formait pour s'allonger ; elle rabattit la capuche de son sweat-shirt sur sa tête, et ses paupières se refermèrent.

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Il n'y avait pas de réveil calme dans la rue. Une bagarre, un passant agressif, la sirène de l'ambulance, un chien qui montrait les crocs ; c'était habituel, et même anormal de ne pas subir ça. Pourtant, cette fois-ci, c'était un homme qui, en se tenant debout, faisait de l'ombre à la jeune femme et avait troublé son sommeil. Elle cligna plusieurs fois des yeux, un peu perdue dans son environnement avant de se frotter les yeux et de s'étirer. Sans même bouger son corps, elle tourna sa tête vers la personne qui l'ombrageait, les yeux plissés. Il semblait être comme les autres. Ses vêtements étaient un simple jean et un sweat noir. Il avait, à vue d’œil, entre vingt et trente ans bien que sa courte barbe brune le vieillissait. Son regard était parfaitement inexpressif, mais se voulait bienveillant. Le jugeant inoffensif, la jeune femme rompu le contact visuel pour se redresser. Elle hésitait à se rendormir, mais l'homme choisit pour elle en prenant la parole.

— Salut, moi c'est Matthieu.

Qu'est-ce qu'il me veut ? songea-t-elle, confuse. Pourquoi cet homme s'intéresserait-il à elle ? Elle ne tarda néanmoins pas à répondre, croyant à sa bonne étoile – peut-être était-ce la chance qu'elle attendait tant ?

— Marie, répondit-elle simplement, mais pas froidement.

— Ça fait combien de temps que tu es à la rue ?

Elle n'en avait aucune idée. Elle ne comptait plus les jours qui passaient depuis bien longtemps, et elle se sentait faible face à cette question. La femme était jeune, bien trop pour être à la rue ; mais cela faisait longtemps qu'elle était dans cette situation, au point qu'elle était incapable de se situer dans le temps. Elle resta donc en silence, se sachant pas quoi répondre, et sa tête se baissa sous le poids de sa situation.

— Je vois, se contenta de murmurer Matthieu. Je pense que je sais comment t'aider, Marie.

Intéressée, elle releva soudainement la tête. Elle ne s'était donc pas trompée : elle allait pouvoir sortir de ce monde, et trouver peut-être une gloire ailleurs. Elle abandonna complètement l'idée de s'endormir et se releva comme un enfant excité à l'idée de connaître son cadeau.

— Comment ? s'empressa-t-elle de demander.

— J'ai juste besoin que tu me fasses confiance. Suis-moi, si tu veux tenter l'aventure.

Quand on est à la rue et qu'une opportunité s'offre à nous, même sans connaître les détails du contrat, on se jette dessus. Alors, qu'il y ait une confiance ou non, Marie s'en fichait. Elle était prête à faire n'importe quoi pour avoir un lieu où dormir et de la nourriture. Une véritable sécurité.
Elle prit les quelques pièces qui traînaient par terre qui lui avaient été données et la bouteille d'eau qui lui restait et suivit l'homme comme son ombre.
Ils marchèrent longtemps dans les rues ; l'homme semblait connaître l'endroit comme dans sa poche et était assuré dans sa démarche. On aurait dit qu'il avait fait ce trajet toute sa vie, ou au moins une bonne partie. Marie, qui n'avait pas l'habitude de s'aventurer dans ces coins-là, observait attentivement, sans se poser de question. Au bout de quelques minutes, ils entrèrent dans un bâtiment.
Si le hall d'entrée était plutôt calme, lorsqu'ils s’avancèrent dans une nouvelle pièce, quelques femmes aux corps quasi-dénudés traînaient autour, semblant pressée. Où était-elle tombée? Elle avait presque envie de s'enfuir, mais Matthieu l'avait attrapée par le bras et la serrait contre elle, comme un piège qui se refermait autour de son corps frêle. Elle regrettait presque les nuits dans la rue lorsqu'elle avançait dans cette pièce imprégnée de l'odeur de cigarette. Quelques pièces plus tard et un étage plus haut, Matthieu la fit entrer dans une pièce après avoir frappé à la porte.

— Assieds-toi.

Elle obéit, n'étant pas en situation de le contredire. Le siège était de loin le support le plus confortable auquel elle avait eu accès depuis son adolescence. Il recula, se dirigeant vers la sortie, et la laissant seule ici.

— Tu vas où ? demanda Marie, en proie à une panique nouvelle.

— Tu dois faire tes preuves avec mon patron, répondit-il calmement.

Son regard n'était plus bienveillant du tout. Il exprimait tous les vices et l'impassibilité de l'homme face à la souffrance des gens. Marie n'avait été qu'un pion de plus. Un peu d'argent à se mettre dans les poches.

— Bienvenue dans le milieu de la prostitution, ajouta-t-il avant de fermer la porte derrière lui.

Quelques minutes plus tard, un homme rentra dans la pièce, le regard brillant de perversité, malsain, alors que Marie n'avait pas encore complètement réalisé. Comment sa chance avait pu se dévoiler être, en réalité, une telle malchance ?